Inizià a une véritable mission de service public dans le domaine de l’innovation
Vu sur le Web (Nuvalinu, le 5 décembre 2016) ► Emmanuel Pierre, directeur d’Inizià, a récemment répondu aux questions de Nuvalinu, site dédié à l’actualité économique de la Corse. Évolution de l'incubateur d'entreprises innovantes au cours des dernières années, missions actuelles, perspectives d’avenir… autant de sujets abordés dans cette interview qui détaille notre mission de service public au service de l’innovation insulaire.
Inizià, l’incubateur de Corse, est une structure territoriale d’accompagnement de projets de création d’entreprises innovantes. A ce titre, elle joue un rôle clé dans le développement de l’économie Corse. Emmanuel Pierre, son directeur, répond à nos questions.
Nuvalinu : À l’origine, les incubateurs d’entreprises ont pour objectif la valorisation de la recherche des établissements publics via la création d’entreprises innovantes, notamment en matière de haute technologie. Mais par la suite, cette mission de base s’est élargie : ouverture aux projets non issus des établissements publics, entreprises « low tech », c’est-à-dire porteuses d’une innovation qui n’est pas exclusivement basée sur une technologie.
Comment cette évolution profonde s’est-elle traduite concrètement dans l’activité d’Inizià ? Quels impacts a-t-elle eue sur votre organisation, les compétences développées en interne, ou votre offre de services ?
Emmanuel Pierre : L’évolution des missions a eu pour conséquence principale la création en 2013 d’une nouvelle structure de portage de l’Incubateur d’entreprises innovantes — jusque-là un service de l’Agence de développement économique de la Corse (ADEC) —, sous la forme d’une association Loi 1901. Cette mutation permet à INIZIÀ de déployer ses nouvelles missions : accompagnement de porteurs de projets de création d’entreprises innovantes n’ayant pas forcément une origine académique ou un lien avec la recherche publique, hébergement des créateurs dans des espaces adaptés et contribution à l’animation des communautés d’innovation sur le territoire.
Cette évolution a été initiée par la Collectivité Territoriale de Corse qui a voulu renforcer le dispositif d’incubation et lui donner l’impulsion nécessaire pour faire émerger davantage d’entreprises innovantes en Corse.
Nuvalinu : D’autres évolutions de cette nature sont-elles attendues ?
Emmanuel Pierre : Oui, si le cœur de métier actuel d’INIZIÀ consiste à accompagner les projets de création de start-ups, il est prévu de mettre à disposition des PMI et PME de l’Île, son ingénierie afin de favoriser l’émergence d’innovations au sein des entreprises existantes.
Par ailleurs le positionnement d’INIZIÀ dans l’écosystème territorial devrait être renforcé par des dispositions du futur Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII), « le PADDUC de l’économie », qui sera examiné par l’Assemblée de Corse en décembre 2016.
Nuvalinu : Pouvez-vous également nous parler des autres activités d’Inizià, notamment son accompagnement en matière d’entrepreneuriat étudiant, ou les actions de sensibilisation que vous menez sur tout le territoire corse ?
Emmanuel Pierre : INIZIÀ a 2 grandes missions principales :
- l’ingénierie de projets innovants, qui s’appuie sur son dispositif d’incubation et ses ressources en matière d’expertise ;
- l’animation du territoire et la mise en réseau de compétences.
Cette dernière activité regroupe notamment les actions de sensibilisation à l’innovation et le soutien à l’entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur. Dans ce cadre, INIZIÀ a participé à la création du Pôle Étudiant pour l’Innovation, le Transfert et l’Entrepreneuriat (PEPITE) porté par l’Université de Corse ainsi qu’au « Lab Startup Camp » avec l’école de management de Bastia, Kedge Business School.
Par ailleurs, nous mettons en œuvre un programme de sensibilisation à l’attention des acteurs économiques et institutionnels du territoire à travers des réunions d’information et des journées thématiques sur des sujets tels que le financement des start-ups, la propriété intellectuelle, la valorisation et le transfert de technologies, le business model, etc…
Enfin, depuis 2014, INIZIÀ est membre du réseau EEN (Enterprise Europe Network), le plus grand réseau européen dédié à l’innovation et à l’internationalisation des entreprises. Grâce à ce réseau, il dispose de nouveaux outils et services permettant aux PME corses de développer leurs capacités d’innovation, de créer des partenariats et de devenir plus compétitives sur le marché de l’Union européenne et au-delà.
Nuvalinu : Quels sont vos principaux partenaires institutionnels et privés sur le terrain, en amont, en aval, et pendant l’incubation ?
Emmanuel Pierre : Les principaux partenaires d’INIZIÀ sont avant tout ses membres fondateurs : la Collectivité Territoriale de Corse, l’Université de Corse, la Communauté d’agglomération du Pays ajaccien, la Communauté d’agglomération de Bastia, la CCI de Bastia et de la Haute Corse, la CCI d’Ajaccio et de la Corse du Sud et la CCI de Corse.
L’État, via le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, finance le dispositif d’incubation qui a également bénéficié des fonds structurels européens (FEDER).
Au cours du processus d’accompagnement, d’autres partenaires interviennent également : en amont de la chaîne de l’innovation, un accord conventionnel a été établi avec la SATT sud Est afin de couvrir la phase de maturation de projets en Corse, qui constitue le premier maillon avant l’incubation et la création de l’entreprise.
En phase de post-incubation, les principaux partenaires sont les organismes qui financent les entreprises, à commencer par l’ADEC et les outils de la plateforme Corse-Financement : la CADEC –qui porte le fonds d’amorçage–, Corse Active, etc…
D’autre part, INIZIÀ est membre du réseau Retis, qui fédère l’ensemble des structures d’appui à l’innovation en France (technopoles, incubateurs, CEEI, pôles de compétitivité, accélérateurs, pépinières technologiques, …) et développe des relations avec des PME, par exemple la SITEC et Code4Corsica (porté par A Prova) dans le secteur numérique, ou des grands groupes présents en Corse comme ENGIE et ORANGE.
Pour finir il est important de noter que l’équipe opérationnelle et les porteurs de projets en incubation bénéficient d’un hébergement mis à disposition gracieusement par la CAPA à Ajaccio, l’Università di Corsica Pasquale Paoli à Corte et l’ADEC à Bastia.
Nuvalinu : Un rapport de l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche pointait le risque de fragilisation des incubateurs du fait de leur dépendance aux financements publics. Ainsi, en 2014 et en moyenne, 84 % des ressources des incubateurs provenaient de financements publics (régionaux, nationaux ou européens). En Corse, ce taux s’élevait à 98 %, dont 60 % pour la seule Collectivité Territoriale de Corse : la diversification des sources financement est-elle un de vos objectifs ?
Emmanuel Pierre : Oui, clairement. C’est d’ailleurs une exigence de nos financeurs publics actuels.
Nuvalinu : Voyez-vous un « risque de fragilisation » comme le craignaient les rapporteurs ? Ou un tel niveau de financement doit-il au contraire être interprété comme une preuve de l’intérêt (notamment de la CTC) pour les problématiques liées à l’innovation et au monde de l’entreprise ?
Emmanuel Pierre : Non, je n’y vois pas de risque, bien au contraire. Il s’agit bien d’une preuve de d’intérêt, car INIZIÀ n’est pas qu’un incubateur. Cette mission, comme je l’ai expliqué, occupe une place importante dans notre activité mais n’est pas la seule. La Collectivité Territoriale de Corse ainsi que les autres membres fondateurs ont confié à INIZIÀ une véritable mission de service public dans le domaine de l’innovation, qui est au cœur des orientations du Conseil Exécutif de Corse pour placer la Corse sur le chemin de la croissance économique. C’est le modèle d’INIZIÀ et c’est pour cela que l’association bénéficie essentiellement de ressources financières d’origine publique. Pour autant, conformément à la volonté de notre Conseil d’administration, une démarche a été initiée auprès des acteurs privés pour nouer des partenariats visant à consolider le développement d’INIZIÀ.
Nuvalinu : Le remboursement d’une part des dépenses engagées par les entreprises incubées est une autre source de financement des incubateurs. Dans ce domaine, Inizià a mis en place une contribution à 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise (selon le rapport mentionné ci-dessus), alors que de nombreux incubateurs choisissent plutôt un montant proportionnel aux dépenses engagées. Pourquoi ce choix ?
Emmanuel Pierre : La mission d’accompagnement et de « conseil risque » remplie par INIZIÀ n’est rémunérée qu’en cas de succès de l’entreprise. Il s’agit en fait d’une contribution plafonnée à 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise qui sera exigée sur deux exercices comptables, dans un délai maximum de cinq ans après le terme de la période d’incubation.
Si le modèle dominant est celui du remboursement proportionnel aux dépenses engagées, de nombreux incubateurs ont adopté le principe des success-fees basé sur les performances de l’entreprise, ce qui permet aux « pépites » de compenser les start-ups dont la croissance est plus difficile.
Nuvalinu : Par ailleurs, la prise de participation dans les entreprises incubées est-elle une option ouverte aux « incubateurs publics » comme Inizià ? Si oui, l’envisagez-vous ?
Emmanuel Pierre : Ce n’est pas dans les pratiques des incubateurs publics. C’est d’ailleurs ce qui nous distingue des incubateurs / accélérateurs privés. Les incubateurs publics ont pour mission de contribuer au développement économique de nos territoires par l’innovation et l’émergence de projets innovants. Les incubateurs / accélérateurs privés se différencient par leur volonté de rentabilité. Ils fonctionnent en règle générale en prenant part au capital de la société afin de réaliser une plus-value en sortie d’incubation.
Nuvalinu : Jean-Christophe Angelini, conseiller exécutif et président de l’ADEC, a évoqué devant l’Assemblée de Corse « un nouveau partenariat avec l’incubateur Inizià », qui devrait être présenté lors de la prochaine session de l’Assemblée. Quels seront les axes de ce nouveau partenariat / Quelles évolutions attendez-vous de ce nouveau partenariat ?
Emmanuel PIERRE : dès sa prise de fonction Jean-Christophe ANGELINI a déclaré que l’innovation était un pilier de la politique économique de cette mandature et a manifesté son soutien à INIZIÀ, qualifié de « bras armé » de l’ADEC dans le domaine de l’innovation.
Le partenariat avec la Collectivité Territoriale de Corse arrivant à terme à la fin de l’année, il a souhaité proroger celui-ci jusqu’à 2020 afin de pérenniser les ressources financières d’INIZIÀ mais aussi son positionnement vis-à-vis des autres outils dédiés au développement économique. Ces objectifs sont contenus dans un rapport préparé en coordination avec le Conseil d’administration de l’association qui sera présenté à l’Assemblée de Corse comme l’une des premières déclinaisons du SRDEII.
Nuvalinu : Plus globalement quel regard portez-vous sur le tissu économique de la Corse ? Sur sa capacité d’innovation ?
Emmanuel PIERRE : Malgré des indicateurs peu favorables (taux de pauvreté, poids du secteur public, niveau de qualification de la population active, taille des entreprises, retard dans la R&D, …) la Corse possède un potentiel de développement qu’il faut dynamiser. Les initiatives liées à l’entreprenariat, notamment dans le numérique, se multiplient et de nombreuses actions de soutien public visant à encourager ce mouvement ont été mises en œuvre ou vont voir le jour. Dans ce contexte, le soutien à l’innovation est particulièrement stratégique car il est un facteur clé de la compétitivité des entreprises qui ne peuvent souvent pas rivaliser avec la concurrence par les prix.
Nuvalinu : Et pour finir, quels conseils donneriez-vous au porteur de projet qui souhaite créer son entreprise en Corse ?
Emmanuel Pierre : Dans un très grand nombre de cas les entrepreneurs se lancent avec précipitation dans la création d’un produit lié à un besoin qu’ils ont identifié. La première étape consiste à se poser la question du problème que l’on cherche à résoudre chez ses clients en testant son produit dans des phases aussi amont que possible pour corriger éventuellement le tir en fonction du feedback client.
Dans un deuxième temps il est important de constituer une équipe déterminée et complémentaire. L’expérience montre que c’est l’un des premiers critères de réussite d’une start-up. On peut réussir seul mais c’est de plus en plus difficile et surtout très long. L’idéal est que l’équipe fondatrice soit composée de profils techniques et marketing, qu’il y ait un leadership fort de l’un des membres et, au moment de la création de la société, un pacte d’actionnaire solide qui permette d’éviter le pire.
Par conséquent, il est vivement recommandé de se faire accompagner par des structures adaptées ou des personnes expérimentées, qui vont conseiller les créateurs et leur mettre à disposition des ressources, un réseau de compétences et des moyens d’hébergement. Des entrepreneurs expérimentés – « mentors » ou des grandes entreprises peuvent aussi intervenir pour structurer le développement de la startup et l’aider à définir sa stratégie mais, en général, avec une contrepartie.
Cet accompagnement doit permettre de structurer le projet, de réfléchir au business model pertinent et, autant que faire se peut, de réduire les risques liés au projet ce qui constitue un avantage lorsqu’on recherche des fonds pour financer le démarrage de la startup.